Utilisacteurpublic apporte sa contribution au débat actuel sur le pouvoir d'achat des Français et particulièrement sur l'accès aux services indispensables.
Il est en effet nécessaire de s'interroger sur l'idée que certains services jugés indispensables doivent être disponibles à tous dans des conditions favorables. Le débat engagé doit permettre de consolider le principe d'une tarification sociale étendue qui relève d'un cadre élargi, celui du service universel et des obligations du service public dans une perspective concurrentielle.
L'objectif de la tarification sociale est de permettre un accès le plus large possible (notamment aux consommateurs les plus démunis) aux différents biens et services des industries en réseaux, qui ont pour certaines fait l'objet d'une libéralisation récente. Par tarification sociale, nous entendons le dispositif par lequel un tarif spécifique est accordé aux personnes socialement fragiles, bénéficiaires de minima sociaux (RMI, API, minimum vieillesse...) ou disposant de ressources limitées.
L'avènement des réseaux et l'intervention étatique créent les conditions d'une tarification sociale
Les débats relatifs au financement des réseaux d'intérêt public sont anciens: en 1805 déjà, Napoléon mettait en place un "fonds de péréquation" permettant de faire financer le service public par les entreprises de messagerie (par service public, il fallait alors entendre l'obligation de porter des messages sur l'ensemble du territoire à un tarif uniforme). L'avènement des réseaux, au début du XXème siècle, est illustré par le développement de l'électricité, du téléphone, ou encore du chemin de fer, l'accessibilité de ces réseaux au plus grand nombre étant une des conditions de leur efficacité. Les besoins en investissement très capitalistiques, ne pouvant être portés par les seules entreprises privées, l'intervention de l'Etat s'est imposée. Ce dernier devient donc un entrepreneur nécessaire, pour ainsi dire par défaut, au service de l'intérêt général.
Le préambule de la Constitution de 1946, et plus particulièrement son article 9, pose-t-il la propriété publique comme le corollaire de la gestion des secteurs organisés en monopoles. L'entreprise EDF, entre autres, apparaît alors comme une des expressions naturelles du service public à la française. Il est a noté que le service universel tel que défini aujourd'hui apparaît en recul par rapport à la conception française de service public, et constitue plutôt un service minimum dans un environnement concurrentiel.
Parallèlement, l'ouverture des réseaux à la concurrence s'accompagne d'une régulation mise en oeuvre par l'Etat qui intègre notamment la définition de la tarification de l'accès des tiers au réseau, la codification des obligations de service public et l'organisation de leur financement de sorte que la concurrence n'en soit pas affectée.
Une tarification sociale pour qui ?
Le dispositif de tarification sociale vise avant tout à aider les personnes en situation de précarité disposant de faibles revenus. La définition d'un public cible susceptible d'être concerné par un dispositif de tarification sociale se heurte à la définition de la précarité en France. Pour identifier la précarité, deux critères distincts peuvent être retenus : le niveau de revenus et le statut de la personne. Le premier est déterminé par un plafond (par exemple, le SMIC). Le second peut être appréhendé à travers le spectre des 8 minima sociaux, ou d'aides sociales versées par les départements (allocation personnalisé d'autonomie), ou encore par différents droits : Couverture maladie universelle et complémentaire (CMU,CMUC), Aide médicale d'Etat (AME)..
Le choix d'un statut ou d'un plafond de revenus est difficile en raison notamment de l'hétérogénéité des dispositifs d'aide sociale mis en place par les pouvoirs publics. La France comptait en 2005 plus de 3,5 millions d'allocataires de minima sociaux. Parmi ceux-ci, les allocataires du RMI représentent près du tiers soit 1,1M. Or, prendre en compte uniquement le RMI, cela peut signifier "rater" la cible que le dispositif s'est fixé, à savoir toucher en priorité les personnes en situation de précarité. Le périmètre du RMI laisserait donc de côté 2,4 millions de personnes.
Quels systèmes de tarifications sociales promouvoir ?
Un système de tarification sociale existe aujourd'hui dans les secteurs de l'électricité, des transports et des télécommunications. Seul le secteur de l'eau n'en dispose pas. Une comparaison intersectorielle met en lumière une forte disparité entre les secteurs, impactant directement les enjeux d'une tarification sociale pour trois raisons :
1-Ces secteurs ne représentent pas le même poids dans les dépenses d'un ménage. Selon l'INSEE, les ménages dépensent 1% de leur revenu disponible pour l'eau, 1,5% pour les télécommunications, 2% pour les transports et plus de 3,7% pour l'électricité. La mise en place d'une tarification sociale ne recouvre donc pas la même nécessité, les dépenses d'électricité d'un ménage étant près de quatre fois plus élevées que les dépenses d'eau.
2-Si le public cible semble devoir être a priori semblable pour tous les secteurs, on constate que les dispositifs de tarification sociale en vigueur dans les secteurs en réseau n'ont pas adopté les mêmes périmètres. Tandis que le tarif social de l'électricité est proposé à toute personne disposant d'un revenu annuel inférieur à 5 520 euros, celui des télécommunications n'est proposé qu'aux bénéficiaires de trois minima sociaux (RMI, AAH et ASS) sur huit. Dans le secteur des transports urbains, le périmètre est variable selon les collectivités et s'appuie sur les bénéficiaires de la CMUC, soit disposant de ressources inférieures ou égales à 598 euros. Or, au regard du poids que représentent ces secteurs dans le panier moyen des dépenses d'un ménage, ces périmètres semblent déséquilibrés.
3-Enfin, par rapport aux autres secteurs, celui de l'eau présente certaines spécificités. Les mécanismes de solidarité s'exercent a posteriori dans le cadre du Fond de Solidarité Logement. L'abonnement est le moins cher des industries à réseaux, de 30 à 40 euros par an, pour les télécommunications de 180 euros, et dans le secteur de l'électricité de 292 euros par an. La part fixe des recettes de l'eau n'est que de seulement 20% alors même que les consommations d'eau sont en baisse régulière et que les coûts fixes sont appelés à croître pour respecter les nouvelles normes environnementales. D'une manière générale, on notera que tous les dispositifs en place privilégient l'appui aux consommateurs disposant de ressources limitées à des formules accordant à tous les consommateurs une quotité minimale du service, estimée correspondre aux besoins essentiels. L'enjeu est donc d'être socialement ambitieux pour le secteur de l'eau.
La LEMA permet la mise en place d'une tarification sociale dans le secteur de l'eau
Les collectivités peuvent tirer des enseignements des dispositifs en vigueur dans les autres secteurs incités par la loi sur l'eau de décembre 2006 (LEMA). Sans surprise, dans le secteur de l'eau, la mise en place d'un dispositif de tarification sociale accentuera davantage la variabilité des recettes du service, entraînant une tension au regard des coûts qui devront toujours être supportés. Il sera donc crucial d'adopter un comportement économiquement réaliste en anticipant l'impact de la tarification en associant étroitement tous les acteurs à la définition des volumes éligibles du périmètre de prise en charge. La question du financement de la réduction tarifaire restant bien évidemment entière, avec plusieurs scenarii envisageables : solidarité au sein du service de l'eau (financement par l'ensemble des consommateurs), abondement des opérateurs, prise en charge par les collectivités locales, organisation par les collectivités avec financement étatique.
Autant de points qui devront faire l'objet d'une concertation élargie permettant de définir des principes communs, et, mais aussi de ménager des solutions flexibles en fonction des contextes locaux et des besoins des foyers les plus modestes.