Le Conseil d'Etat a renversé une jurisprudence plus que centenaire sur l'attribution du contrat public en statuant qu'un tiers, comme par exemple un concurrent évincé, pourra demander directement à la justice administrative son annulation ou sa suspension.
Jusqu'à présent, les personnes autres que les parties ayant conclu un contrat public - attribution de marché ou délégation de service - ne pouvaient pas en demander l'annulation ou la suspension, une fois celui-ci signé.
Mais le Conseil d'Etat a retourné sa jurisprudence en statuant lundi 16 juillet sur un contentieux impliquant une société de signalisation qui contestait la décision en novembre 2005 de la Chambre de commerce et d'industrie de Pointe-à-Pitre de l'avoir écarté, au profit d'une entreprise concurrente, d'un marché de marquage des aires d'avions à l'aéroport de la préfecture guadeloupéenne.
Tout en rejetant la requête de cette entreprise pour d'autres raisons juridiques, le Conseil d'Etat a estimé que la demande de Tropic Travaux Signalisation, "en sa qualité de concurrent évincé de l'attribution de ce marché, est recevable..."
Le Conseil d'Etat suit ainsi les conclusions du commissaire du gouvernement, chargé de dire le droit, qui avait précisé, devant l'assemblée du Contentieux du 29 juin, quels tiers pourraient, selon lui, être désormais recevables.
Ceux-ci, selon le commissaire Didier Casas favorable à une "conception restrictive", devront pouvoir "se prévaloir d'un droit de nature patrimoniale qui aurait été lésé par la conclusion du contrat".
Une obligation bientôt issue du droit communautaire
"Dans notre esprit, expliquait-il, cela viserait les entreprises évincées de la procédure d'attribution d'un contrat, les usagers du service public en tout cas lorsqu'est en cause une délégation de service public ou un marché public de service public, ainsi que, peut-être, le contribuable local qui pourrait éventuellement se prévaloir de ce que les conditions financières d'un contrat ont des répercussions nécessaires sur ses droits patrimoniaux".
En revanche, ajoutait-il, seront exclus "les tiers sans revendication patrimoniale tels que, notamment, "les membres des assemblées délibérantes des collectivités publiques, les syndicats, les associations (...)".
Ce retournement de jurisprudence, selon le commissaire, se justifie notamment par une évolution en cours du droit communautaire qui s'apprête à remettre en cause la notion de l'inviolabilité du contrat.
"L'état actuel de notre droit national ne permettra pas d'assurer ce qui sera très probablement et à court terme une obligation issue du droit communautaire", avait souligné Didier Casas.
De plus, la notion "artificielle" en droit français des "actes détachables", formule qui permettait de contester des parties du contrat, a atteint "une forme d'épuisement", ajoutait-il.
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